jeudi 9 juin 2011

Glimcher et al. (2004). Neuroeconomie: L'alliance du cerveau et de la décision

Le but de la neuroéconomie est de comprendre les processus les sensations et l'action dans une situation où l'on doit prendre une décision. On s'attachera ici à la manière dont on prend une décision d'un point de vue économie, comportemental et biologique.

La naissance de la neuroéconomie vient de l'observation d'un paradoxe observé, qui contredisait les théories habituelles de prises de décision développées par les économistes. Les économistes avaient défini à chaque prise de décision un critère d'utilité, qui correspond à la propabilité d'y gagner en faisant un choix plutôt qu'un autre. Le Paradoxe de Saint Petersbourg nous indique que les choix ne sont pas vraiment faits en fonction de la probabilité de gagner. Ils utilisent pour ça un jeu où la probabilité de gagner est infinie : Il s'agit de décider combien on serait prêt à payer pour jouer à un jeu de pile ou face, où la banque nous offre 2€ si pile tombe au premier coût, 4€ s'il tombe au deuxième, 8€ au troisième... 2^n euros pour le nième essai. Alors même que ce jeu à une utilité (probabilité de gain) infinie, la plupart des gens ne sont pas prêt à payer plus de 40€ pour y jouer. Pourquoi?

L'utilité subjective
C'est la notion qui a été avancée pour expliquer ce paradoxe: l'utilité d'un jeu diminue avec la grandeur des gains. L'utilité n'est pas vue comme une fonction linéaire. C'est à dire qu'on perçoit la probabilité de gagner 1€ à tous les coups comme plus intéressante que de gagner 10€ un coup sur 10. Mathématiquement, la probabilité de gain est la même, mais elle n'est pas perçue comme cela, au contraire, on y met de la subjectivité, et avec ça, intervient une aversion au risque qui nous empêche de miser gros pour gagner gros. On préfèrera ainsi gagner peu d'argent à coup sûr, que miser et risquer de perdre, et cela, même si l'utilité objective du jeu nous dis qu'il est plus intéressant de miser (par exemple entre gagner 1 euros à tous les coups, et gagner 12 euros un coup sur 10, il vaut mieux tenter la deuxième option, mais ce n'est pas ce qu'on fait. Cette aversion au risque nous dit également qu'on est plus sensible à la perte qu'au gain, c'est à dire que ça parait plus négatif de perdre 10€ que ça n'est positif d'en gagner 10. La valeur initiale d'utilité (par exemple, un gain d'1€ a une utilité de 1) est déterminée de façon arbitraire, et est également subjective (d'où des erreurs de jugement où on se trompe à cause de l'importance que l'on donne aux choix).
Il semble que même les oiseaux, qui n'ont pourtant pas un cortex aussi développé que le notre soient capables de comprendre l'utilité, et préférer ainsi prendre des risques pour gagner plus si l'utilité est plus importante. Ce qui peut s'expliquer dans une perspective Darwinienne de sélection des espèces : ceux qui gagnent plus sont favorisés, donc l'évolution favorise la prise de risque et l'analyse des utilités de diverses options.

Les bases neuronales
L'importance est donc que l'utilité perçue n'est pas la même que l'utilité réelle. Cette subjectivité va expliquer bon nombre de paradoxe et de comportements humains sur une prise de décision. On a essayé de trouver les bases neuronales qui permettaient de coder l'utilité subjective. Il s'avère que ce n'est pas une réponse simple Stimulus environnemental (de la nourriture ou de l'argent par exemple) --> action (aller chercher l'argent), mais qu'il y a un intermédiaire qui permet de choisir la meilleure option, dans une situation où le choix est ambigüe.
Les différentes zones cérébrales impliquées dans la levée de l'ambiguïté et la décision sont :
  • Le cortex pariétal postérieur. Dans un jeu de loterie, on s'est en effet aperçu que les neurones du cortex pariétal postérieur s'activaient quand il y avait renforcement, donc que le choix était bon. Il code à la fois la valeur de ce renforcement et sa probabilité d'être obtenu. 
  • Le striatum. Il est impliqué dans la force de la récompense. Il aura tendance à nous faire miser gros pour gagner beaucoup.
  • Le noyau amygdalien sublenticulaire. L'amygdale étant liée aux émotions et notamment à la peur, cette région est le siège de l'aversion au risque, et tendra à nous faire choisir ce qui est moins risqué. Elle code également l'utilité subjective : gagner 0€ quand on a la possibilité d'en gagner 15 est différent que gagner 0€ quand on a la possibilité d'en perdre 15, ce qui peut se comprendre étant donné à la fois la valence de ce qui entoure le gain et de l'aversion au risque induite par l'amygdale.
Les stratégies
On a également étudié les stratégies déployées quand on est en face d'une autre personne. Dans le jeu de l'inspection (où un participant, dans le rôle de l'employé, décide de rater la travail pour gagner son salaire quand + un bonus, ou de rester travailler, et en face, il y a un autre participant, dans le rôle du patron, qui décide d'engager un inspecteur pour la journée, ce qui lui coutera, mais permettra de prendre l'employé la main dans le sac, ou de laisser faire et de perdre la journée de l'employé dans le chiffre d'affaire) on peut bien voir à quel point chacun va chercher son bénéfice : si le coût de l'inspection est haut, le patron va moins y faire appel pour garder ses sous, et l'employé va plus frauder, et inversement. L'intérêt est notamment de voir les situations intermédiaires où le coût de l'inspection est raisonnable...

Environnement risqué vs environnement incertain
On a également pu faire des comparaisons entre des environnement où les probabilités de gain sont connues et des environnements où elles ne le sont pas. On préfère souvent opter pour la sécurité (aversion au risque à nouveau) et prendre la solution à utilité connue. On appelle ça le Paradoxe d'Ellsberg. Cela remet notamment en cause la théorie de l'utilité, car dans le cas où l'utilité serait plus grande mais pas connu, elle ne serait pas choisie. La théorie de l'utilité permet donc de rendre compte de certaines situations, mais pas de toutes, notamment pas de celles en univers incertain (où on ne connait pas les risques). Cela signifie également que les processus biologiques sous-jacents dans une situation à univers risqué et à univers incertain ne sont pas les mêmes, et qu'il y a conflit entre les deux.
Les activations dans ce cas spécifique sont les suivantes:
  • Le cortex préfrontal ventromédian (VMPFC). Il est impliqué dans les situations à univers incertain, car il est supposé intégrer les notions de conscience du futur, de planification, etc. Elle permet aussi d'intégrer les dimensions émotionnelles envoyées par l'amygdale (à rapprocher de l'hypothèse des marqueurs somatiques de Damasio). Cette zone s'active quand on apprend la disponibilité d'une récompense ou d'une punition. Elle a notamment été étudiée chez des patients lésés (cf. cet article)
La coopération
On a pu étudier les stratégies de coopération cette fois-ci à partir du célèbre ultimatum game. Ce jeu consiste à dire à un sujet qu'il possède dors et déjà 10€, mais qu'il faut le partager avec un autre joueur, en choisissant la proportion qu'il veut. Si l'autre joueur est d'accord avec le partage, alors chacun obtient la part qui lui a été attribuée, et si l'autre joueur refuse le partage, alors personne ne gagne rien. Le résultat intéressant est que quand le partage est trop inéquitable (le second joueur n'obtient que 2 ou 3€), le second joueur préfère refuser pour garder l'égalité entre lui et le premier joueur, plutôt que de gagner de l'argent inéquitablement réparti. On préfère rien gagner et ne rien faire gagner à l'autre que devoir gagner moins que l'autre...
Lors d'un refus par le second joueur, les zones suivantes s'activent :
  • L'insula antérieur. Cette zone est associé au dégoût à la fois physique et émotionnel. Il semblerait donc que l'inégalité des répartitions des richesses provoque réellement un dégoût suffisamment fort pour empêcher l'autre de gagner quoique ce soit.
  • Le cortex préfrontal dorsolatéral. Cette zone s'occupe de maintenir le but (gagner de l'argent) et d'effectuer un contrôle des fonctions exécutives (inhibition, plannification, etc.)
  • Le cortex cingulaire antérieur. Il permet de détecter quand il y a conflit dans une situation. 
Dans une expérience du même type, le jeu de la confiance, un participant possède de l'argent en banque, et est libre de le mettre en bourse. S'il le fait, l'argent triple, mais est entre les mains d'un second joueur, qui peut décider de la manière de distribuer cette somme triplée entre lui et le premier participant. Pour gagner le plus possible, le premier participant ne doit rien miser, et le second doit garder toutes les mises triplées pour lui uniquement. En réalité, ce n'est pas ce qui se passe. On cherche à nouveau un équilibre, comme une justice plus forte que le gain.
  • Le cortex paracingulaire antérieur est activé spécifiquement dans cette situation de coopération, mais seulement quand on a un humain en face de nous. Quand le second joueur est un ordinateur, rien n'est activé. C'est une zone qui est impliquée dans l'interprétation des états mentaux d'autrui, dans l'empathie, autrement dit.

En conclusion, on peut dire que lorsque l'on doit faire un choix, chaque possibilité a une certaine proportion de gain, dite utilité, mais qui n'est pas le gain réel que cela pourrait nous apporter, mais le gain qu'on pense que cela va nous apporté, et qui est différent de la réalité, on appelle cela l'utilité subjective. Néanmoins, les gens n'agissent pas simplement avec cette dimension, notamment quand l'univers n'est plus risqué mais incertain. Quand il y a ambiguïté, l'utilité subjective est moins importante. 
Pour continuer à étudier ces processus, il est important d'allier à la fois l'économie, la psychologie comportementale et la biologie pour faire perdurer cette science nouvelle qu'est la neuroéconomie.


Source: Glimcher, P. W., & Rustichini, A. (2004). Neuroeconomics: The Consilience of Brain and Decision. Science, 306, 447-452

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