Le langage se base sur des règles de construction dont l'analyse passe notamment par la grammaire. La grammaire est ce qui détermine si un mot est un nom ou un verbe (par exemple) et quelle est sa fonction dans la phrase. Comment ces règles grammaticales s'articulent avec les autres informations sur le langage dans notre cerveau ? Où se situent ces informations ? Cette étude révèle que la catégorie grammaticale d'un mot serait représentée indépendamment de son sens, mais plutôt qu'elle serait liée à sa forme propre (le mot) ou au calcul des formes revêties (l'accord, les terminaisons, etc.).
De la distinction que fait le cerveau entre un nom et un verbe
Dans l'étude du langage, l'important n'est pas de comprendre les mots indépendamment les uns des autres, mais bien dans l'articulation de la phrase complète. Il est donc intéressant de ne pas seulement étudier la représentation des mots dans le cerveau (qui se situent d'ailleurs souvent dans le cortex périsylvien gauche), mais des processus d'articulation de la phrase à un niveau cérébral. Par exemple, on sait que chanter est un verbe et que oiseau est un nom, mais on sait également que l'on peut dire les oiseaux chantent et pas les chantent oiseaux. On le sait car ces mots n'ont pas le même rôle syntaxique, ils n'ont pas la même fonction dans la phrase, et on sait qu'un verbe ne peut pas être précédé d'un article, par exemple. Ce que l'on sait par les études en neuro-imagerie est que le nom et le verbe ne sont pas traités par les mêmes zones du cerveau.
Qu'est-ce que nous apprennent les études de patients cérébraux-lésés ?
Il semble que les catégories grammaticales des mots soient disposées tout le long des zones langagières de l'hémisphère gauche. Le concept de nom serait plus stocké dans la partie temporale (partie postérieure du cerveau) et le concept de verbe serait plus stocké dans la partie préfrontale (partie antérieure). Ceci a été obtenu via des patients cérébraux-lésés. Néanmoins, ce n'est pas aussi simple ! Des patients non lésés dans ces régions cérébrales mais dans d'autres peuvent quand même montrer des problèmes d'identification ou d'utilisation des noms et/ou des verbes. Cela indique que ces concepts sont beaucoup plus complexes, et sont nécessairement stockés dans plusieurs localisation du cerveau.
A quels niveaux cérébraux sont stockées les catégories grammaticales ?
Le stockage de la catégorie grammaticale se fait au niveau sémantique
Le niveau sémantique est atteint lorsque le cerveau accède au sens du mot. Etant donné que le nom réfère le plus souvent à des objets et le verbe à des actions, et que ces deux éléments (objets / actions) ne sont pas traités de la même manière par le cerveau, il est logique que le cerveau ne traite pas de la même manière le verbe et le nom, au moment où il accède au sens des mots.
Ceci est cohérent avec les données neuropsychologiques : les patients ayant des problèmes dans la planification de l'action ont également des problèmes spécifiques avec les verbes. Les patients ayant des problèmes avec le traitement des stimuli sensoriels et des caractéristiques des objets ont aussi des problèmes spécifiques avec les noms.
Un phénomène qui en résulte est que les noms en rapport avec des actions motrices, par exemple "vélo" seront parfois confondus avec des verbes d'action.
Les verbes et les noms sont différenciés à ce niveau grâce à leur caractère concret (vs. abstrait). Les mots concrets étant plus les noms (référant à quelque chose de clairement imagé, ils sont stockés dans le lobe temporal médian et inférieur) et les mots abstraits étant plus des verbes (on peut relier l'abstraction à l'action, traité par les lobes frontaux et des structures postérieures) qui est un phénomène plutôt qu'une entité concrète). Cette distinction des classes grammaticales selon le critère de concrétude ou d'action semble être ce qui est sous-jacent aux deux processus cérébraux distinct de traitement du verbe et du nom.
Le stockage de la catégorie grammaticale se fait au niveau lexical
Les mots d'actions étant le plus souvent des verbes, il est plus facile d'accéder à leur catégorie grammaticale quand ils font partie de ce lexique. Ces éléments sont traités par les cortex frontal gauche et pariétal gauche.
Le stockage de la catégorie grammaticale se fait au niveau morphologique
L'information sur la catégorie grammaticale d'un mot se trouve également à un niveau inférieur au niveau sémantique, accessible sans connaître le sens du mot. On peut les reconnaître par leur forme même.
Par exemple, un mot avec une terminaison cohérente à notre savoir sur la conjugaison sera considéré comme un verbe, même si on ne connaît pas son sens. Un mot qui prend un -s au pluriel sera plus considéré comme un nom. Ces processus sont effectués par le cortex frontal gauche. Les verbes seraient plus spécifiquement traités dans une région qui se nomme le gyrus frontal médian gauche (pas loin de l'aire de Broca, aire cérébrale en charge de la production des mots).
A noter : certains patients présentent des problèmes de reconnaissance ou de production d'une catégorie grammaticale seulement pour l'écrit ou seulement pour l'oral. On en conclut qu'il existe deux systèmes cérébraux indépendants pour représenter le langage oral et le langage écrit. L'important dans l'apprentissage de la lecture est néanmoins de faire le lien entre l'oral et l'écrit, et donc de faire le lien entre ces deux processus cognitifs initialement indépendants. Là réside toute la difficulté de l'apprentissage de l'écrit.
Source : Shapiro, K. & Caramazza, A. (2003). The representation of grammatical categories in the brain, Trends in Cognitive Sciences, 7(5), 201-206
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