samedi 9 avril 2011

Badgaiyan & al. (1999). Amorçage auditif, traitement visuel ou auditif, quelles différences ? Indices donnés par la TEP

Jusque là, les études avaient montré une décroissance dans l'activité du cortex extra-strié, dans les conditions où il y avait un amorçage visuel. On n'était pas sûr s'il s'agissait d'une activité spécifique à la vision, ou qui concernait tout type d'amorçage. Cette étude apporte des réponses comme quoi ce serait plus général à tout type d'amorçage que spécifique à la vision. Cela ne se retrouve pas quand on change de modalité (auditif --> visuel) dans le même essai (ce qu'on appelle cross-modality).

L'amorçage réfère à un changement dans la capacité à identifier ou produire un objet ou un mot en conséquence d'une rencontre préalable spécifique de l'item. L'amorçage ne requiert pas la conscience ou la reconnaissance de l'amorce et fait donc partie de l'implicite/non conscient. 
Dans cette étude, ils ont utilisé ce qu'on appelle le paradigme de complétion de mots (word stem completion): on étudie les mots dans une phase amorce, et quelques temps plus tard, on doit compléter des débuts de mots avec le premier qui nous vient à l'esprit. Les études sur ce paradigme montrent qu'on ne les complète pas au hasard, et qu'environ la moitié vient des mots étudiés dans la phase amorçage, sans qu'on ait fait cela volontairement et consciemment. Les études de neuroimagerie sur ce paradigme ont trouvé une diminution d'activité dans le cortex extra-striée (aire 19 de Broadmann) pour la complétion avec des mots amorcés par rapport à quand il n'y avait pas d'amorçage.
Les études sur l'amorçage ont également montré que les résultats étaient meilleurs lorsqu'on restait dans la même modalité de présentation (l'amorce et la tâche de complétion toutes deux en vision, ou en audition) plutôt que quand on changeait de modalité entre les deux (l'amorce en audition et la tâche en vision). 

Ils ont fait 2 expériences pour montrer que cette désactivation du cortex extra-strié se trouve non seulement pas uniquement pour la vision, mais qu'on ne la retrouve pas en changeant de modalité entre l'amorçage et la tâche. L'expérience 1 évalue le within-modality (tout en audition), et l'expérience 2 l'across modality (vision en amorce et audition en tâche). 

Méthode
Dans l'expérience 1, les sujets étaient présentés à des mots auditivement. Il y avait 60 mots, dont 30 qui pouvaient se retrouver dans la tâche de complétion (contrebalancé entre les sujets), et ils devaient déterminer la clarté d'énonciation de ces mots sur une échelle de 1 à 3. 2 minutes après la présentation de ces mots, les sujets étaient scannés, pendant qu'ils passaient des blocs où ils devaient compléter des parties de mots présentées également auditivement, par le premier mot leur venant à l'esprit. Ils ont fait passer 8 sujets.
Dans l'expérience 2, il y avait une partie où c'était la même modalité (similaire à l'expérience 1, sauf qu'ils avaient à faire non pas un jugement de clarté mais du caractère plaisant des mots). Pour le cross-modal, les mots étaient présentées sur un écran, visuellement, pendant la phase d'étude (présentation des amorces). 
Ils avaient à chaque fois une baseline, pour les mots qui n'étaient pas présentés dans la tâche, et une condition de fixation, où il fallait juste regarder une croix (pour différencier ce qui vient uniquement du visuel, et n'a rien à voir avec l'amorçage).

Résultats
Expérience 1:
  • Les sujets ont rempli 49,2% des mots par des mots étudiés, et 16,4% pour ceux qui étudiaient la baseline (le hasard leur a fait remplir 16,4% des mots correctement). Il y a donc bien un effet d'amorçage. 
  • Il y a eu une diminution d'activité dans les zones du précunéus, du cortex préfrontal médian droit jusqu'à l'antérieur, et le cortex extra-strié bilatéral entre la condition priming (moins d'activité) et la fixation. Il y avait les mêmes entre le priming et la baseline, en rajoutant le gyrus angulaire droit.
Expérience 2:
  • Dans le within-modality (idem à l'expé 1), les sujets ont rempli 54,4% des mots par des mots étudiés, et 20,3% pour ceux qui n'ont pas étudié. Les temps de réponse étaient également plus court quand il y avait eu amorçage. 
  • Dans le cross-modality, les sujets ont rempli 48,1% des mots par des mots étudiés et 19,1% pour ceux qui n'ont pas étudié. Les temps de réponse étaient également plus court pour la condition amorcé, signifiant qu'il y a aussi eu un effet d'amorçage cross modal, similaire à l'effet en within-modality, ce qui indique qu'il n'y a pas de différence comportementale, mais qu'il y en a au niveau cérébral. 
  • Ils ont retrouvé les mêmes diminutions d'activité pour le within-modality par rapport à l'expérience 1. Pour le cross-modality, par contre, il n'y avait rien de tel, mais plutôt une activation plus forte du cortex préfrontal médian et antérieur droit. 
  • Les autres activations n'étaient que des traces. Ils ont ainsi trouvé des traces comme quoi il y aurait une plus grande activation en within-modality dans le gyrus angulaire, et qu'il y aurait une plus grande activation (ou une moins grande diminution) en across-modality dans le précunéus, le cortex préfrontal et le cortex extra-strié.
Discussion
Il est possible qu'ils n'aient pas trouvé de différence d'activation pour le cross-modality, parce que celui-ci ferait appel à des régions cérébrales différentes.
D'autres études ont montré que ce décroissement d'activité dans le cortex extra-strié était fréquent, et non dépendant de la forme des mots présentés. 

Si les sujets avaient créé une image visuelle des mots entendu, il y aurait eu un acroissement, et non une diminution d'activité. Idem s'ils s'étaient fait une image auditive des mots vu. 
Le processus pourrait être également une suppression/inhibition des processus visuels quand on est dans l'auditif, mais alors ils auraient observé une diminution d'activation quand il n'y avait que de l'auditif par rapport à quand il fallait fixer une croix.
Autrement, et c'est une vision plus séduisante, la diminution d'activité du cortex extra-strié pourrait être expliquée par le fait que cette zone ne soit pas impliquée uniquement dans le traitement visuel, mais ait des parties dédiés à d'autres traitements. 
On pourrait dire alors que le cortex extra-strié répond de manière amodale à l'amorçage... A creuser. 
Les activations dans le gyrus angulaire droit peuvent être expliquées car on sait maintenant que cette zone est impliquée dans le traitement lexical et le traitement non conscient. Les activations dans le cortex préfrontal sont dues à la mémoire épisodique. Il est intéressant de noter qu'ils n'ont pas montré de décroissement dans le cortex auditif même, il n'y aurait donc pas amorçage à un niveau perceptif, sinon, l'habituation aurait été vu directement dans ces zones perceptives.

Il faudrait reconduire l'expérience en alternant le cross-modal (auditif --> visuel et non plus visuel --> auditif) pour confirmer toutes ces hypothèses. 

On observe donc une décroissance de l'activité du cortex extra-strié à la fois en vision et en audition, tant qu'on reste dans du within-modality. Le cross modality semble plus devoir être dû à une inhibition par le cortex préfrontal des informations de la première modalité pour répondre par la seconde. Il semble également que le cortex extra-strié soit moins spécialisé qu'on ne le pensait!


Source: Badgaiyan, R.D., Schacter, D.L., Alpert, N.M. (1999). Auditory priming within and across modalities: evidence from positron emission tomography. Journal of Cognitive Neuroscience, 11(4), 337-348

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