lundi 13 août 2012

Jackson (2012). La réponse cérébrale à la douleur d’autrui

Qu’est-ce qui fait que l’on peut ressentir de l’empathie pour la douleur d’autrui ? Quels processus neuro-cognitifs sont impliqués ?

La matrice de la douleur

Les observations de neuro-imagerie ont permis d’établir une matrice de la douleur

NB : il y a des zones qui s’activent quand on a mal, mais ce ne sont pas des zones de la douleur, spécifiquement, car elles peuvent s’activer pour d’autres choses. C’est pour cela qu’on parle de matrice de la douleur et non pas de zones de la douleur.

Trois niveaux de réponse à la douleur
On peut observer 3 niveaux de réponse cérébrale à la douleur, traitées dans trois zones différentes de la proprioception : la sensation de douleur (aires S1), le sentiment de douleur (aires S2) et l’évaluation cognitive de la douleur (aires S3). Qu’en est-il de l’aspect social (douleur de l’autre) ? Activent-elles les mêmes zones, ou seulement certaines zones spécifiquement ?

L’observation de la douleur chez autrui : une empathie variable

Tout dépend de ce que l’on cherche à ressentir
Quand on observe d’autres personnes avoir mal (ou même leur réaction faciale à la douleur), on a des régions de notre cerveau impliquées dans la matrice de la douleur qui s’activent automatiquement (insula et cortex cingulaire antérieur), mais pas toutes. Notamment, les aires sensorielles S1 et S2 (S1 = sensation ; S2 = sentiment) qui s’activent différemment, par exemple selon si on a demandé de se focaliser sur l’endroit où il doit y avoir une douleur (dans ce cas, S1 s’active plus) ou si on demande à quel point c’est une douleur désagréable (dans ce cas, S2 s’active plus).

Elle dépend de ce que l’on voit

La manière dont on ressent la douleur au niveau somatosensoriel (S1) est directement liée à l’observation visuelle de la douleur. On ne réagit pas (cérébralement parlant, observé par EEG) de la même manière avec ou sans image de douleur, lorsqu’on a de toute façon une douleur (dans le doigt par exemple, avec ou sans image de doigt coupé). On ne réagit pas non plus de la même manière si on voit d’abord la douleur puis l’expression de douleur (S1 activé plus fortement) que l’inverse (S2 et S3 activés plus fortement).

Différents facteurs influençant l’empathie

Ce qui peut influer sur l’empathie ressentie face à la douleur d’autrui :
- La douleur en elle-même : un stimulus plus intense, plus long, vu directement, non attendu, etc. sera jugé plus dur
- Notre état : âge, genre, stabilité mentale et physique (on peut être insensibles physiquement, c’est le cas d’une maladie, l’insensibilité congénitale à la douleur) ou les connaissances a priori sur cette douleur (notamment la formation que l’on a eu, en médecine, par exemple)
- Le contexte : la ressemblance avec l’autre, le lien affectif avec l’autre, le lien social avec l’autre, l’environnement où est ressenti la douleur.

Notre douleur est toujours plus dure que celle des autres.

On ne juge pas de la même manière une douleur que l’on est sensé recevoir par rapport à la douleur reçue par une autre personne. On juge plus dure la douleur que l’on doit ressentir personnellement. Quand on s’imagine que c’est nous qui souffrons, on s’imagine plus la douleur, ça active plus les zones de la matrice de la douleur. Pour voir cela, on a utilisé une photo de main qui se fait couper le doigt, vu de notre point de vue (le poignet est vers nous) ou du point de vue d’autrui (le poignet est en haut de la photo).

Les personnes fragiles mentalement anticipent la douleur qu’elles pourraient ressentir.

Dans le cas d’une situation potentiellement douloureuse, on anticipe la douleur, même si elle n’arrive pas. Le cerveau réagit comme s’il allait y avoir de la douleur au départ (dépotentialisation observable en EEG, qui disparait si aucune douleur n’est effectivement présente ou qui continue dans le cas d’une vraie douleur) mais seulement si on a une personnalité psychopathique, sadique, etc. c’est-à-dire dans le cas de fragilité psychiques à la douleur.

Ceux qui ne ressentent pas la douleur pour eux peuvent néanmoins la comprendre pour les autres.

Une maladie génétique appelée Insensibilité congénitale à la douleur empêche les malades de ressentir la moindre douleur. Ils peuvent très bien se brûler la main sur une plaque chauffante au 4ème degré sans ressentir la moindre douleur. Quand ils observent la douleur chez autrui, ils ne ressentent pas non plus de douleur, en tout cas dans une empathie sensorielle, pas plus que si c’était la leur mais ils peuvent, par des moyen détournés, comprendre que la douleur existe et que telle ou telle expression faciale est de la douleur, sans comprendre vraiment la ressenti. On observe en effet une activation des zones S3 (identifiables aux processus cognitifs évaluatifs de la douleur).

On s’habitue à la douleur des autres.

Les professionnels habitués à la douleur ont moins d’activation cérébrale et un jugement subjectif de la douleur ressentie dans une situation plus faible. C’est le cas des médecins, notamment. Il y a bien une adaptation à la douleur d’autrui, une perte d’empathie à la douleur dans ces professions qui sont amenées à voir la douleur régulièrement. Le cerveau s’adapte pour être moins empathique, lorsque cela est nécessaire.

Le genre compte : il est plus dur de voir un homme souffrir qu’une femme.

Il y a une prise en compte du genre dans l’empathie : voir un homme souffrir provoque plus de sentiment de souffrance que voir une femme avoir mal. Voir une femme avoir mal fait moins réagir, sauf en cas d’extrême douleur. On juge sa douleur moins importante. Ces résultats ont été observés à partir de jugements subjectifs à des visages exprimant la douleur. L’explication serait que le visage d’un homme est plus expressif ou bien que la réaction de douleur d’un homme est jugée plus dangereuse d’un point de vue évolutionniste, donc notre réaction serait plus forte en conséquence.

Les gens qui nous ressemblent ont plus mal que les autres.

Directement relié au fait que l’on juge plus dure une douleur ressentie par soit même par rapport à une douleur ressentie par quelqu’un d’autre, on juge également plus dure une douleur ressentie par quelqu’un qui nous ressemble par rapport à quelqu’un qui ne nous ressemble pas. On juge plus dure par exemple la douleur de quelqu’un de notre espèce que d’une autre. Il y a un large effet de groupe, on est plus empathique pour les douleurs des membres de ses groupes identitaires (ceci étant non limité à la race, cela peut être le cas pour un membre de son équipe, de sa famille, etc.). En comparant la même douleur chez des caucasiens ou des asiatiques, les sujets caucasiens jugeaient plus dure la douleur ressentie par les caucasiens et les sujets asiatiques jugeaient plus dure la douleur ressentie par les asiatiques.
Fait intéressant : la douleur des membres d’un autre groupe que le sien (par exemple, dans le cas d’une compétition sportive, un adversaire qui se blesse) active non seulement moins les zones de l’empathie à la douleur, étant donné qu’il s’agit de quelqu’un étranger à notre groupe, mais elle active également des zones du système de récompense, comme si la douleur de l’adversaire était une revanche.

Au final, on obtient un modèle de l’empathie qui est inter-agents, et non plus uniquement personnel, intégrant les trois dimensions cognitives vues plus haut (S1, S2 et S3). Jusqu’alors on ne pensait qu’un système de douleur, mais il faut penser peut être un système de douleur qui interagit avec le système de douleur d’autrui grâce à l’empathie.



Source : Jackson, P. (2012). The brain Response to the Pain of Others : Feeling Versus Caring. Summer School in Cognitive Sciences – UQAM, Université Laval (Vidéo de la conférence)

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A lire également à propos de l'empathie : 
Dapretto, M. & al. (2006). Comprendre les émotions des autres : les dysfonctionnements des neurones miroirs chez les autistes
Hsu, M., & al. (2008). Le juste et le bon : justice distribuée et encodage neuronal de l'équité et de l'efficacité

1 commentaire :

  1. Les habitants des pays d'Asie qui consomment de la viande de chiens et de chats les torturent sans aucun état d'âme en les laissant longuement agoniser, parce qu'ils estiment que la chair d'un animal qui a souffert aura plus de qualités gustatives et curatives contre les effets de la chaleur en plus des qualités aphrodisiaques qu'elle contiendrait.
    Ces personnes n'ont aucune empathie ni compassion envers ces êtres sensibles qui manifestent, même dans l'extrême torture, leur soumission envers l'homme.
    Comment expliquer cette absence d'empathie envers des êtres qui ressentent la douleur ?

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