vendredi 26 novembre 2010

Bechara, A. (2004). Le rôle de l'émotion dans la prise de décision : étude des patients orbitofrontaux


La plupart des théories sur la décision disent que celle-ci résulte des imagination de ce qu'une option ou une autre nous apportera dans l'avenir. Mais les gens ne jugent pas seulement comment prendre leur décision en fonction des buts et des risques rationnels, intervient aussi l'émotion! Quand on a une lésion dans le cortex préfrontal ventromédiant (incluant l'orbitofrontal), on a du mal à prendre en compte nos émotions pour nos décisions.
Il y a à propos de ça une hypothèse qui a été émise: l'hypothèse des marqueurs somatiques sensoriels. Elle prend en considération plusieurs niveaux entrant en compte dans la décision, et notamment ceux d'homéostasie (rester à l'équilibre), l'émotion et les sensations.

Dans la région orbitofrontale du cortex préfrontal, on a le gyrus rectus et les gyri orbitaux. Une lésion uniquement de cette région est rare, elle apparait souvent associée à une lésion de tout le cortex préfrontal ventromédian. Ceux qui ont ces lésions ont de gros problèmes au quotidien dans leurs décisions, qu'elle soient à titre personnel ou vis à vis des autres. Les autres capacités cognitives sont cependant préservées. L'hypothèse des marqueurs somatiques sensoriels prédit qu'une diminution des émotions influerait la prise de décision. Ces patients ont des problèmes de décision, et ce serait donc dû à un problème de prise en compte d'émotions. 

Méthode
La gambling Task
Ils ont utilisé trois types de tâches pour tester les problèmes de décision des patients avec lésion Ventromédiane: la Gambling Task (jeu de poker), la Betting Task et la Delay Task
Dans la Gambling Task, les sujets ont à choisir des cartes dans 4 paquets différents. Deux des paquets sont à haut risque de perte mais on gagne beaucoup les peu de fois où on gagne (mais au final ils font perdre de l'argent) et les deux autres sont à risque faible risque mais on gagne peu à chaque coup (au final, on gagne de l'argent).
Ils avaient trois groupes de sujets: les patients lésés du cortex Ventromédian ("patients VM"), des patients lésés d'une autre zone ("patients lésés contrôles") et des gens sans lésion ("groupe contrôle") qui passaient tous la Gambling Task. Ils ont mesuré en même temps la conductance de leur peau (un bon marqueur émotionnel)

Résultats
  • Les patients VM n'ont pas évité les paquets à risque (qui faisaient perdre à la fin), alors que les deux groupe contrôle si.
  • La conductance de la peau faisait un pic chez tous les patients après avoir pioché une carte et appris si c'était une perte ou un gain. La différence est que chez les sujets contrôle, il y avait également un pic de conductance (i.e. une émotion) avant de piocher une carte dans un paquet à risque, alors que les patients VM n'en avaient pas. 

Ces patients VM étaient tous lésés des deux hémisphères. Ils ont donc ensuite comparé les lésés VM unilatéraux. Il semblerait que ceux qui sont lésés du côté gauche ont moins de problèmes avec la décision au quotidien et dans la Gambling Task que ceux qui sont lésés du côté droit, qui présentent, eux, les mêmes résultats que les lésés bilatéraux. Ils ont corrélés ces résultats avec le fait que les comportements émotionnels de l'hémisphère droit sont plus des comportement d'évitement et d'émotions négatives et pour l'hémisphère gauche, on a plus des comportement de rapprochement et d'émotions positives. Pour ceux qui sont lésés à droite, on peut donc comprendre que, vu qu'ils ont moins d'émotions négatives et de comportement d'évitement, et plus de comportement de rapprochement avec des émotions positives, ils choisissent plus les decks à risques. Ce sont en quelque sorte d'éternels optimistes qui ne pensent jamais perdre... 

Pour ceux qui ont eu la lésion ventromédiane plus tôt dans leur vie, les dégâts sont plus importants et irréversibles, alors que ceux qui l'ont acquis plus tard, à l'âge adulte, sont moins désavantagés dans leur décisions quotidiennes.

Pour revenir à l'hypothèse des marqueurs somatiques, on explique donc les résultats de décision de ces patients par leurs émotions (ils ont moins d'émotions négatives, et plus d'émotions positives, ça les attire plus vers le risque). Il y a trois moyens de faire passer les sensations du corps vers le cortex et les émotions: la corde spinale, les nerfs vagues et le chemin endocrinien. Ce serait les nerfs vagues qui seraient le plus à même de faire correspondre l'état du corps (les sensations, donc) avec une prise de décision.
  • Ils ont donc testé cette hypothèse avec des patients épileptiques stimulés directement via électrodes. Ils ont observés un choix plus important des paquets avantageux lorsqu'ils activaient les nerfs vagues, par rapport à quand ils ne l'étaient pas. 
Un autre problème pouvant intervenir dans la prise de décision endommagée chez les patients VM est que le cortex préfrontal permet aussi de faire des estimations. Sans estimations, ils ne peuvent pas savoir à l'avance si un paquet est avantageux ou pas (ce qui peu expliquer l'absence de réponse cutanée avant de piocher).

Ils ont également comparé les problèmes de décision avec la mémoire de travail. Les patients VM ont un problème de prise de décision mais aucun problème de mémoire de travail. Au contraire, des patients avec des lésions préfrontales dorsolatérales (DLPF) ont des problèmes de mémoire de travail mais pas de prise de décision (selon les zones, cela affecte plus la mémoire des objets (zone inférieure) ou la mémoire spatiale (zone supérieure)).
  • En utilisant une Delay Task, il semblerait que la mémoire de travail ne soit pas affectée par la capacité à prendre des décisions.
  • Mais il semblerait que la prise de décision soit influencée par l'intégrité de la mémoire de travail.
Les auteurs font ensuite la distinction entre impulsivité (qui est une absence d'inhibition) et mauvaise prise de décision. La différence se justifierait en cela que pour prendre une décision, il faut évaluer les pour et les contre et on n'est pas au courant des conséquences de nos actions, alors que pour une impulsivité, il n'y a pas d'évaluation des pour et des contres qui entre en compte, et on est parfaitement au courant des résultats si on y cède. La prise de décision est une impulsivité cognitive, gérée comme on vient de le voir démontrer par le cortex préfrontal ventromédian, alors que l'impulsivité au sens classique est en fait une impulsivité motrice, gérée par les zones cingulaires antérieures. Il existe encore un autre type d'impulsivité: l'impulsivité perceptive qui est en fait l'impossibilité de faire taire des pensées récurrentes, et qui serait géré par la mémoire de travail. Cette dernière impulsivité est plus gérée par le cortex frontal latéral et le cortex insulaire antérieur.

Les émotions et les états du corps n'entrent pas toujours en considération dans les prises de décision. Il y a deux circuits, un circuit qui intègre les signaux du corps, le "body loop" et un circuit qui fonctionne sans input du corps, le "as-if loop". Dans le as-if loop, l'activation n'a pas besoin de passer par le corps les cortex insulaires et somatosensoriels sont directement activés en souvenir de l'émotion déjà ressentie dans la situation similaire. 


Source: Bechara, A. (2004). The role of emotion in decision-making: Evidence from neurological patients with orbitofrontal damage, in Brain and Cognition, 55, 30-40

4 commentaires :

  1. et que deviennent les personne atteintes de ce trouble ??? Au fur et a mesure du temps récupére t'elle leur "intégrité " ?? Peuvent -elles re ressentir leurs émotions et décider ??
    Merci de me répondre!

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  2. Les patients atteints de ce trouble peuvent être de deux types :
    - ceux atteints par une lésion cérébrale
    - ceux atteints par un dysfonctionnement fonctionnel

    Dans le premier cas, pour réhabilitation des facultés, il faut que la fonction soit transférée à une zone encore présente pour pouvoir faire réapparaître les capacités. Il faut pour cela que la lésion ne soit pas trop étendue.

    Dans le second cas, le recyclage neuronal prédit qu'il peut beaucoup plus facilement y avoir une compensation de la fonction par d'autres aires cérébrales semblables (donc aussi orbito-frontales, mais de l'autre hémisphère, par exemple, dans le cas où celui-ci n'est pas non plus touché).

    En espérant avoir répondu à votre question

    (Désolé pour le temps de réponse, je n'ai pas vu passer votre commentaire)

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  3. Bonjour,

    n'y a t-il pas une inversion ou une erreur sur les zones cérébrales concernées dans l'explication donnée ? car il est écrit pour l'hémisphère droit, une chose et son contraire.
    "... Ils ont corrélés ces résultats avec le fait que les comportements émotionnels de l'hémisphère droit sont plus des comportement d'évitement et d'émotions négatives et pour l'hémisphère gauche, on a plus des comportement de rapprochement et d'émotions positives. Pour ceux qui sont lésés à droite, on peut donc comprendre que, vu qu'ils ont moins d'émotions négatives et de comportement d'évitement, et plus de comportement de rapprochement avec des émotions positives...

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    1. Bonjour,
      Le comportement d'évitement est dû à l'hémisphère droit. Si celui-ci est lésé, le comportement privilégié est donc un comportement de rapprochement.

      La phrase est en effet un peu tarabiscotée, mais ce qu'il faut ici comprendre est ce que j'ai indiqué dans ce commentaire.

      Merci de votre remarque !

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