mercredi 22 février 2012

Rozencwajg, Schaeffer & Lefebvre (2010). L'âge et l'arithmétique : l'impact des connaissances et de la vitesse de traitement

Comment les connaissances et la vitesse de traitement affectent l'intelligence (et plus précisément les scores au test d'intelligence de la WAIS-III), et cela en fonction de notre âge ? La résolution de problèmes arithmétiques a été choisie pour tester l'intelligence. La vitesse de traitement ne prédit les scores d'arithmétique que pour les personnes âgées. Les résultats sont expliqués en fonction de la théorie de l'intelligence CHC, en indiquant que l'arithmétique relève à la fois de l'intelligence cristallisée Gc (les connaissances, Gq) et de l'intelligence fluide Gf (la vitesse de traitement, Gs).

Le modèle de l'intelligence CHC (Cattell-Horn-Carroll)
Les tests d'intelligence comme la WAIS ou la WISC donnent des scores quantifiables de l'intelligence, mais ces scores ne nous disent pas réellement comment fonctionne l'intelligence des gens testés, il est important d'aller un peu plus loin et d'avoir un modèle plus théorique de l'intelligence, comme le modèle CHC (Cattell-Horn-Carroll). 




Le modèle est un modèle hiérarchique à trois niveaux. Au niveau le plus supérieur, on présuppose une intelligence de type générale, le facteur G, qui intervient dans l'ensemble des processus intelligents (de la parole à la réflexion). Au niveau deux viennent les capacités larges, comme l'intelligence fluide (Gf), l'intelligence cristallisée (Gc), la mémoire à court terme (Gsm) ou la vitesse de traitement (Gs). Vient ensuite le niveau des capacités plus réduites, assez précises.















Les personnes âgées et l'arithmétique
Le subtest utilisé, l'arithmétique, tiré de la WAIS-III est habituellement classé comme un test évaluant la mémoire de travail (MW), mais cette catégorisation est mise en doute. Cet article notamment teste le fait que ce subtest soit en fait un test des connaissances (Gq), qui est l'endroit où sont stockés les connaissances pures d'arithmétique, et un test de vitesse de traitement (Gs).



On connait le phénomène le plus commun du vieillissement normal : la dissociation. L'intelligence cristallisée reste intacte plus longtemps que l'intelligence fluide, qui décroit très rapidement et plus tôt. La résolution de problèmes arithmétiques a de moins bons résultats avec l'âge également, mais semble être quelque part entre ces deux processus, comme on peut le voir dans la figure ci-contre où la courbe bleue représente l'intelligence cristallisée (Gc), la courbe verte l'intelligence fluide (Gf) et la courbe rouge les performances en arithmétique.



La vitesse de traitement a déjà été vue comme influençant les capacités de résolution de problème arithmétique. On le voit surtout quand le temps de passation est court. Spearman voyait déjà il y a presque un siècle que la vitesse de traitement était de toute façon nécessaire dans l'ensemble des traitements de l'intelligence (facteur G), cela correspond également à la vitesse de l'influx nerveux dans le cerveau. Et les personnes âgées ont une diminution de vitesse de traitement, ce qui affecte tout ce qui relève de l'intelligence. 

Bien sûr, pour les problèmes simples (résolutions d'additions à 1 chiffre, par exemple), il n'y a pas de différence entre personnes âgées et jeunes, car la tâche est vraiment simple et ne demande pas beaucoup de capacités, mais pour les tâches plus complexes (des additions sur des nombres, par exemple). 
Les corrélations effectuées supportent l'hypothèse que le subtest arithmétique évalue le facteur Gq (connaissances). Cela expliquerait notamment pourquoi les performances à ce tests diminuent de manière différente que ne diminue la mémoire de travail. Ce subtest ne fais donc pas partie de la mémoire de travail. Néanmoins ce subtest ne mesure pas directement la vitesse de traitement, celle-ci vient juste l'influencer à hauteur de 8% de plus que les jeunes (passant de 1 à 9% d'explication dans la corrélation), comme elle influence tout autre traitement de l'intelligence en général (G). La vitesse de traitement diminuant avec l'âge, il est normal qu'ils aient plus de difficultés aux tests, mais ce n'est pas forcément à cause de ça. Ce qui semble peut être plus logique est de dire que ça vient des connaissances, à savoir que l'arithmétique est une connaissance apprise à l'école (qui est plus loin pour les personnes âgées, d'où leurs difficultés plus grande), et qui n'est pas forcément pratiquée depuis (donc elle a eu le temps d'être oubliée depuis), toute différence de niveau d'éducation étant identique entre jeunes et âgés par ailleurs.


Source : Rozencwajg, P., Schaeffer, O., Lefebvre, V. (2010). Arithmetic and aging : Impact of quantitative knowledge and processing speed. Learning and individuel Differences, 20, 452-458

Frantz & Rozencwajg (2010). La catégorisation chez les personnes âgées : le cas des similitudes

La catégorisation est accessible aux enfants dès 10 ans. Elle peut être soit Taxonomique (du type d'un arbre phylogénétique, c'est à dire pour retrouver la catégorie commune directement supérieure aux items), soit basée plus sur le contexte. Qu'en est-il des personnes âgées ? Est-ce que la catégorisation acquise, elle reste identique tout au long de la vie ensuite ? Non : le déclin des fonctions exécutives (intelligence fluide), et notamment de l'inhibition, empêchent les personnes âgées de catégoriser les mots aussi bien que les jeunes. 

La catégorisation permet d'associer des objets ou des concepts entre eux. Il y a deux grands types de catégorisation : Taxonomique (appartenance à une catégorie sur-ordonnée ; ex : l'arbre phylogénétique) et Thématique (liens contextuels ou temporels ; ex : le lait et le café sont au petit déjeuner). De manière, on associe plus les objets ou les concepts selon la thématique, et ce de plus en plus avec l'âge.

Les tâches de similitudes impliquent deux aptitudes :
- Le vocabulaire : il faut connaître les mots, leur sens, leur catégories, etc.
- L'inhibition cognitive : car on a dit que naturellement, on a tendance à catégoriser de manière thématique, alors qu'on demande une catégorisation taxonomique dans ce test, il faut donc inhiber la réponse intuitive et activer la réponse apprise plus tardivement (taxonomique). L'inhibition fait partie des fonctions exécutives gérées par le cortex préfrontal.

On sait que les fonction exécutives, et donc l'inhibition, déclinent avec le vieillissement, même normal, de manière assez rapide.

Les résultats de cette étude montrent bien que les jeunes sont avantagés dans le test de similitude par rapport aux personnes âgées (sauf pour les mots concrets, où jeunes et âgés sont aux performances maximales). Les jeunes et les âgés n'avaient pourtant pas de vocabulaire, la différence de résultats doit donc être imputée au déclin de l'inhibition cognitive. Cette hypothèse a été prouvée ensuite par des tests mesurant les performances d'inhibition directement (Stroop et TMT). 


Source : Frantz, B., & Rozencwajg, P. (2008). Vieillissement cognitif et catégorisation : le cas des similitudes. 18ème Journées Internationales de Psychologie Différentielle, Université de Genève, 27-29 août 2008. CA.

Rozencwajg & Corroyer (2007). L'analyse des processus cognitifs dans une version adaptée du test des similitudes de Weschler

Cette étude a examiné la manière dont on créait des catégories entre des mots concrets et abstraits. Créer une catégorie entre deux mots (exemple été/hiver) est le fait d'identifier ce qui les relie, sans que ce soit trop général, ni inadapté (catégorie ici : saisons). Une catégorie correctement identifiée relève d'une catégorisation taxonomique, mais d'autres types de comparaisons existent (l'été il fait chaud, l'hiver il fait froid ; c'est des temps, etc.). Il est également plus compliqué de créer une catégorie pour des mots abstraits que pour des mots concrets (mots qui peuvent se représenter avec une image), néanmoins, cette étude montre qu'il existe un lien entre les deux processus, relevant peut être d'un facteur général de l'intelligence.

Qu'est-ce que la catégorisation ? 
Elle peut être définie de la sorte (Bonthoux, Berger et Blaye, 2004) : "La catégorisation correspond à une activité cognitive conduisant l'individu à traiter de la même façon des objets différents, et donc à dépasser les spécificités au profit de la généralité." Il s'agit donc de relier des objets selon ce qu'ils ont en commun pour en créer une catégorie, un groupe général où les deux objets sont. Pour exemple, et pour ceux à qui cela parle, on pourra citer comme exemple les arbres phylogénétiques construits en biologie, qui vont du plus général au plus spécifique (voir un exemple).
Comme tâche de catégorisation, le mieux est encore de prendre le subtest des similitudes, issu des célèbres échelles de Wechsler (les tests psychologiques utilisés pour évaluer l'intelligence : WAIS et WISC). On pourrait également prendre les Echelles Différentielles d'Efficiences Intellectuelles (EDEI) qui possèdent un subtest de catégorisation également. Dans le subtest des similitudes, adressé ici aux enfants, la consigne est tout simplement de dire en quoi deux mots se ressemblent.

Il existe plusieurs niveaux de catégorisation (cf. figure), le meilleur, celui attestant le mieux de la compréhension et de l'intelligence étant le niveau taxonomique.
Le niveau taxonomique est proche du niveau général, mais celui-ci est trop général, il a sauté une catégorie pour prendre la sur-catégorie, ce qui n'est donc pas assez pertinent, mais est quand même sur la voie de la catégorisation. Le reste catégorise sur de mauvaises bases (exemple pour le schématique qui catégorise selon la relation dans le temps entre les deux mots, et non la relation sémantique. Il s'agit plus d'une représentation en mémoire épisodique). 

L'évolution de la catégorisation chez l'enfant se fait en 3 étapes, entre 7 et 11 ans, période des opérations concrètes : 
- Script : Représentation d'actions organisées par rapport à un but (ex : le chat mange la souris), représentations plus schématiques.
- Slot-fillers (cases à remplir) : Catégories taxonomiques mais contextualisées. On les obtient en changeant les éléments dans les scripts que l'on s'est construit (ex : le serpent mange le chat). 
- Catégories taxonomiques : Catégories décontextualisées, qui émergent lorsqu'un élément d'un script a été rencontré dans un autre script (ex : la souris mange du fromage).  

Les mots concrets et les mots abstraits
"La valeur d'imagerie d'un mot se définit comme le degré de facilité avec lequel les mots évoquent une image mentale. Les mots ayant une valeur élevée d'imagerie possèdent des représentations sémantiques plus 'riches' que les mots en ayant une plus faible" (Bonin, 2003). Ce degré d'imagerie d'un mot va déterminer s'il est concret ou abstrait (les mots imagés étant les mots concrets). Il existe des échelles pour évaluer l'imagerie d'un mot : Bonin et al., 2003 (en 5 points, 3 indiquant un mot concret) et Flieller et al., 1994 (en 7 points, 5 indiquant un mot concret).

Dans le subtest des similitudes, certains mots relèvent du niveau pré-opératoire, en ce sens que la similitude peut se ressentir de manière perceptive (ex : la ressemblance entre une roue et une balle, qui sont tous les deux des objets ronds). Une réponse basée sur une similitude perceptive est beaucoup plus facile (et apparait plus tôt dans le développement) qu'une similitude sur-ordonnée (d'une catégorie commune supérieure). 

Il existe également une différence entre les mots concrets et les mots abstraits. Un mot concret réfère à un objet physique, alors qu'un mot abstrait réfère plus à un concept. Trouver la catégorie sur-ordonnée entre deux mots concrets relève de l'abstraction des caractéristiques des objets auxquels ils réfèrent, alors que trouver la catégorie sur-ordonnée entre deux mots abstraits exige un raisonnement sur un contenu non matériel, donc encore plus difficile. 
On ne voit apparaitre la possibilité de faire des catégories avec les mots abstraits qu'aux alentours de 10 ans (observé grâce à une tâche de rappel, où les enfants de 10 ans ont plus de facilité à rappeler les mots abstraits catégorisables que non catégorisables, mais pas les enfants plus jeunes). 

D'un point de vue cérébral, il existe également une différence de traitement entre mots abstraits et mots concrets. Les mots concrets sont reconnus par les deux hémisphères alors que les mots abstraits ne sont reconnus que dans l'hémisphère gauche. La catégorisation des mots concrets relèverait d'un double codage (le mot verbal, comme pour le mot abstrait, mais également l'image du référent), d'où les deux hémisphères engagés. Ces données sont supportées par la neuropsychologie, où une lésion à droite empêche la catégorisation des mots concrets mais pas des mots abstraits. 

La catégorisation chez les enfants de 9 ans
Globalement, les enfants de 9 ans savent bien catégoriser les mots concrets, et un peu moins les mots abstraits. Ce qui est intéressant est que le fait de savoir catégoriser les mots concrets va prédire le fait de pouvoir catégoriser les mots abstraits : plus on est fort en catégorisation concrète, plus on sera fort en catégorisation abstraite. Au delà de ça, ces résultats montrent qu'il existe un processus commun de catégorisation des mots abstraits et concrets, alors même que ces mots ne sont pas traités de la même manière par le cerveau. 

L'intéressant également est l'analyse des types de réponses susceptibles d'être données quand l'enfant sait donner des réponses taxonomiques (cf. les types de catégorisation plus haut). Quand on arrive à faire une catégorisation taxonomique, on arrive également à faire une catégorisation générale (qui serait un peu le début de la catégorisation taxonomique, mais pas encore bien maîtrisée, car trop globale. L'enfant serait sur le chemin de l'abstraction. Ex : chien et chat sont tous deux des êtres vivants (catégorisation générale), oui, mais ils sont d'abord des animaux (catégorisation taxonomique)). Au contraire, lorsqu'on sait donner des réponses taxonomiques, on donne peu de réponses sur les différences. 
Sur les capacités de catégorisations, on obtiendrait donc une évolution de ce type : 
Différences < Schématique, Figurative, Instrumentale < Général < Taxonomique


Source : Rozencwajg, P. & Corroyer, D. (2007). L'analyse des processus cognitifs dans une version adaptée du test des similitudes de Wechsler. Psychologie et Education, 4, 25-40