lundi 25 octobre 2010

Koenigs, M. & all. (2007). Les dommages du cortex préfrontal augmentent les jugements moraux utilitaristes

Est-ce que les émotions (et donc les zones corticales qui les sous-tendent) jouent un rôle dans le jugement moral? De nombreuses études le montrent. Est-ce que les émotions interviennent en étant la cause du jugement, ou en réponse à ce jugement? C'est ce à quoi cette étude s'intéresse.
Pour ajouter encore des données supplémentaires à celles existantes, ils ont étudiés des patients lésés du cortex préfrontal ventromédian (=VMPC), qui code pour les émotions sociales et l'évaluation de la valeur émotionnelle d'un stimulus, et ils ont vu que ces patients présentaient un problème moral spécifiquement pour les dilemmes moraux personnels présentant un dilemme élevé (entre sauver une personne qui souffre beaucoup au détriment d'un grand nombre, ou sacrifier cette personne pour sauver tous les autres, par exemple).

Hypothèses
  • Si le jugement moral est lié avec l'évaluation des émotions, les patients lésés VMPC recourrons plus à des réponses de type "utilitaires", c'est à dire dénuées d'émotions sur les situations où les réponses se font habituellement plus grâce aux émotions, c'est à dire les situations avec des jugements moraux de type personnel (sauver quelqu'un par ex.) et des dilemmes forts. On ne devrait pas observer de différence avec les sujets normaux sur les jugements de type impersonnels, où l'émotion n'intervient pas.
  • Si, par contre, l'émotion n'intervient pas dans le jugement moral, mais seulement après l'avoir effectué, alors les patients VMPC n'auront pas de différence avec le groupe contrôle sur la décision à prendre, seulement sur le ressenti ensuite.
Méthode
Ils ont prit 6 patients avec une lésion bilatérale du Cortex préfrontal ventromédian (VMPC), 12 patients avec des lésions n'impliquant pas les zones liées à l'émotion (amygdale, VMPC, insula, cortex somatosensoriel droit) et 12 sujets sains sans aucune lésion.

2 des 6 patients VMPC ont été passés sous IRM pendant l'étude, les 4 autres étaient sous TEP (Tomographie par Émission de Positons)

La tâche consistait à choisir si la solution était bonne ou non en appuyant sur un bouton oui/non après que la situation problématique ait été décrite sur 2 diapositives. Les sujets n'avaient pas de temps imparti pour lire la situation, mais devaient répondre avant que 25 secondes se soient écoulées une fois la question posée. Il y avait 50 scénarios proposés. Chaque scénario avait été prétesté sur 10 sujets sains, qui devaient évaluer l'effet émotionnel des dilemmes. Ils ont été ensuite classés selon trois catégories: Les scénarios non-moraux (n=18), les scénarios impersonnels, à faible valence émotionnelle (n=11) et les scénarios personnels, à forte valence émotionnelle (n=21)
Les résultats ont été mesurées en nombre de "oui", c'est à dire le nombre de fois où le sujet a été d'accord pour prendre la solution proposée, laquelle était toujours de type "utilitaire".

Résultats
Le premier résultat concerne les différences selon le type de scénario et les groupes:
  • Il n'existe pas de différence significative entre le groupe VMPC et les groupes contrôles pour les scénarios non-moraux et impersonnels, mais il en existe une pour les scénarios personnels. (cf. figure 2)





 A l'intérieur des scénarios personnels, ils ont rajouté une dimension de faible conflit vs conflit fort, selon si la situation était difficile à départager ou pas (en se basant sur le temps de réponse des sujets du pré-test).
  • La différence entre les patients VMPC et les sujets contrôles n'existe que pour les situations à fort conflit. (cf. fig. 3)








Discussion
La réponse des patients VMPC à latâche de décision morale diffère donc des sujets normaux uniquement pour la situation de fort conflit mise en scène de façon à faire intervenir les émotions, c'est à dire en incluant des personnes.
En l'absence de dilemme émotionnels, les patients VMPC feraient appel aux normes sociales qu'ils connaissent par ailleurs et dont ils ont bien conscience, ce qui pourrait expliquer les résultats similaires dans la situation "personnel - faible conflit".

Dans cette étude, la sur-évaluation des solutions utilitaires aux problèmes moraux incomberait aux émotions sociales. Il y a également d'autres études, utilisant la célèbre tâche de l'Ultimatum Game, où les décisions étaient expliquées par la difficulté à contrôler la frustration et à calmer sa colère. La tâche étant différente car l'une implique le sujet de façon personnelle, alors que celle de cette étude n'implique que des personnes autres, et imaginaires.


Source: Koenigs, M., Young, L., Adolphs, R., Tranel, D., Cushman, F., Hauser, M., & Damasio, A. (2007). Damage to the prefrontal cortex increases utilitarian moral judgements, in Nature, 446 (7138), 908-911

Ewbank, M. P. & al. (2009). La réponse de l'amygdale cérébrale aux images fortes

La réponse de l'amygdale à une image émotionnellement forte varie selon plusieurs facteurs
On a longtemps considéré dans les recherches sur l'émotion que seules étaient pertinentes les notions d'Arousal et de Valence. L'Arousal, pour le rappeler, est la force du stimulus émotionnel. La Valence est le caractère positif ou négatif émotionnellement du stimulus. Cet article propose de considérer d'autres facteurs qui seraient impliqués dans la plus ou moins grande activation de l'amygdale, responsable des émotions. Les facteurs proposés sont la signification et la pertinence du stimulus. Ces facteurs font partie d'une théorie nouvelle de l'émotion, qu'on appelle théorie de l'évaluation (appraisal theory).
Les auteurs se sont donc intéressés à la notion d'impact, et ont cherché à mesurer l'impact plus ou moins fort d'images catégorisées selon ces différents facteurs.

Hypothèses
  • La réponse amygdalienne pour des images négatives à impact fort sera meilleure que pour des images négatives à impact faible. 
  • Au contraire, s'il n'y a pas d'autres facteurs que l'arousal et la valence, alors, vu que le matériel est fixé sur ces valeurs, la réponse amygdalienne sera identique pour l'impact fort et l'impact faible d'une image négative.

Matériel
24 sujets, dont 14 femmes, tous droitiers, d'âge moyen 26 ans (âgé entre 19 et 41 ans), avec une bonne vue (normale ou corrigée) ont participés à l'étude.
30 images à impact fort et 30 images à impact faible ont été sélectionnées dans un set de 213 images déjà disponibles (dont 55 prises dans la base de données du Système International des Images Affectives (IAPS), et ont été pré-évalués selon leur arousal, leur valence, leur distingabilité visuelle, leur complexité, leur approch/avoidance (?) et leur impact. Ils ont également ajouté 30 images neutres, 30 images "bouche trou" sur lesquelles aucune donnée n'était reccueillie (quel intérêt?) et 30 images inversées. L'idée était d'avoir des images qui ne variaient que par leur impact, et non par leur valence, leur arousal, ou quoique ce soit d'autre. Ils ont donc fait les prétests nécessaires et obtenu les résultats si contre. Ils ont également contrôlé le degré de luminosité, le contraste, et toutes les propriétés internes à l'image qui auraient pu faire changer quoique ce soit sur les résultats.

Une image appraissait pour 1000 ms, suivie de 2500 ms d'un écran blanc avec une croix au centre. La tâche du sujet était d'appuyer sur un bouton quand une image inversée apparaissait. Ils ont en même temps mis les sujets dans un IRMf. 

Résultats
  • La réponse de l'amygdale est significativement plus sensible aux images à impact fort qu'aux images neutres. Ce que ce soit dans l'amygdale gauche, droite ou l'hippocampe antérieur.
  • La réponse de l'amygdale gauche augmente légèrement pour les images à impact faible que pour les images neutres.
  • La réponse de l'amygdale gauche augmente pour les images à impact fort par rapport aux images à impact faible.
  • Il y a eu une augmentation de l'activation du cortex occipitotemporal pour les images à impact fort. Cela inclut les régions du cortex occipital latéral et du gyrus fusiforme postérieur, des zones impliquées dans la réponse émotionnelle et la focalisation de l'attention. 
  • Activation également de la jonction temporo-pariétale pour les images à fort impact, zone qui dirige également l'attention.

Discussion
Cette étude est la première à montrer une différence d'activation de l'amygdale entre des images négatives à même valeur d'Arousal et de Valence. Cela suggère dont bien l'existence d'autres facteurs influençant la réponse émotionnelle de l'amygdale, mais on ne peut pas déterminer combien il y en a, ils en ont juste proposé deux. 
L'amygdale pourrait contribuer à évaluer et à établir la signification d'un stimulus émotionnel. (Sander et al., 2003)
Il est possible que certaines zones de l'amygdale soient dévoluent plus à l'arousal et d'autres zones à d'autres facteurs d'évaluation. Il est également possible que les différents facteurs ne soient pas traités au même moment dans l'amygdale, mais l'IRMf n'est pas suffisamment bon temporellement parlant pour le voir.
Ils ont également observé une réponse de la conductance de la peau en réaction aux stimulus à fort et faible impact. Un autre moyen de vérifier les résultats de cette expérience.

Conclusion
Les images avec un impact plus ou moins fort activent d'autant les régions de la jonction temporo-pariétale, responsable de l'orientation de l'attention et l'amygdale, responsable de la réponse émotionnelle en elle même.
Néanmoins, la réponse de l'amygdale n'est pas seulement due à l'arousal et à la valence, étant donné que ces facteurs étaient fixés dans cette expérience.


Source: Ewbank, M. P., Barnard, P. J., Croucher, C. J., Ramponi, C. & Calder, A. J. (2009). The amygdala response to images with impact, in SCAN

jeudi 21 octobre 2010

Neininger, B. & Pulvermüller, F. (2003). Une lésion dans l'hémisphère droit qui affecte seulement la catégorisation des mots


Où est situé le sens des mots? De nombreuses études semblent dire que les mots sont plus stockées dans l'hémisphère gauche (chez les droitiers), dans ce que l'on appelle les core language areas. Cette étude montre, grâce à des lésions, que pour fonctionner, le cerveau gauche a également besoin de l'assistance du droit, qui s'occupe de certaines catégories spécifiques de mots, grâce à ce qu'ils ont appelé complementary language areas. (NB: on trouve également ces complementary langage areas dans l'hémisphère gauche, mais l'intérêt ici est d'appuyer le fait que ce n'est pas seulement cet hémisphère qui s'occupe du langage, au moins pour certaines catégories de mots). Certains mots peuvent même être traités uniquement dans l'hémisphère droit.

Hypothèses
  • Des lésions de l'hémisphère droit moteur et fronto-pariétal vont particulièrement affecter les mots d'action. (Ceci expliqué par le fait que l'action soit reliée au cortex moteur de manière évidente si on considère le postulat de Hebb.)
  • Des lésions de l'hémisphère droit au niveau des aires visuelles et du lobe  temporo-occipital inférieur  vont particulièrement affecter les processus langagiers des mots associés à la vision. (Même explication, mais pour ce qui est de la vision)
Méthode
Trois groupes ont été testés. 
Le groupe "frontal", était constitué de 12 participants ayant tous subit une lésion de la zone motrice et prémotrice de l'hémisphère droit. Ils étaient tous Allemands et ne parlaient aucune autre langue. 
Le groupe "temporo-occipital", était constitué de 6 patients ayant tous subit une lésion de la zone temporo-occipitale inférieur de l'hémisphère droit, associée à la vision. Ils étaient par ailleurs tous Allemands et ne parlaient aucune autre langue.
Le groupe "contrôle", composé de neufs patients sans lésions corticales. Egalement Allemands ne parlant que cette langue.
Le groupe contrôle et le groupe frontal étaient de même âge, mais le groupe temporo-occipital était plus agé et venait d'un milieu social plus élevé.

Ils ont subit une batterie de prétests pour déterminer exactement leurs déficiences. (Benton Visual Retention Test, d2 Test, Corsi Block-Tapping Test, Token Test, Aachen Aphasia Battery, Oldfield’s handedness inventory)

Le test était constitué par 300 mots, contrôlés selon leur fréquence d'apparition et leur taille: 150 non-mots, 50 noms relatifs à la vision, 50 noms relatifs à l'action et à la vision, 50 verbes d'action.
Ils ont d'abord, dans une phase prétest, demandé à des personnes extérieures d'évaluer sur une échelle de 1 à 5 trois choses: 
  1. Si les mots leur rappelaient des scènes ou des objets qu'on pouvait rencontrer
  2. Si les mots leur rappelaient des activités qu'ils pourraient eux même faire
  3. S'ils considéraient les mots comme concrets ou abstraits
C'est grâce à ça qu'ils ont pu former les listes. Il y avait 8 blocs de 36 à 38 mots présentés. Il y avait entre chaque mot une croix sur laquelle les sujets devaient fixer leur regard. Pour que les mots atteignent au même moment les deux hémisphères, ils étaient présentés dans les deux champs visuels.
La tâche pour les patients étaient d'appuyer sur un bouton selon qu'il s'agissait d'un mot ou d'un non mot.

Résultats
(Je retranscris le graphique plus que ce qu'ils disent, car c'est incompréhensible et inintéressant à déballer comme ça)
On remarque quoiqu'il en soit sur le graphique qu'il y a de nets problèmes pour les noms visuels pour les patients avec des lésions du cortex visuel droit, et de nets problèmes également pour les mots d'action pour ceux qui ont des lésions frontales droites (zones motrice et prémotrice). Les données sont recueillies en terme de pourcentage de mots correctement identifiés. Cela montre bien un problème au niveau seulement de certaines catégories de mots, et pas des autres. Les catégories affectées sont celles correspondant à la fonction première de la zone principale affectée (les mots associés à la vision pour les lésés occipitaux, les mots associés à l'action pour les lésés moteurs)

Discussion 
La discussion porte principalement sur la raison pour laquelle les groupes ont été constitués ainsi, ainsi que de la nécessité de refaire une analyse statistique en enlevant deux personnes au dessus de la moyenne (le graphique au dessus est celui après avoir enlevé les données "out").
Ils y font également une comparaison avec d'anciennes recherches, qui avaient notamment déjà trouvé des résultats sur des catégories de mots spécifiquement atteintes lorsque des zones spécifiques du cerveau l'étaient également, c'est le cas du lobe occipital, par exemple, mais ça ne l'était pas pour toutes les zones (frontal par exemple), donc l'intérêt de cette recherche est ici. Il est également dans l'aspect cerveau gauche, où personne n'avait encore fait quoique ce soit, à priori.


Source: Neininger, B. & Pulvermüller, F. (2003). Word-category specific deficit after lesions in the right hemisphere, in Neuropsychologia, 41, 53–70

mercredi 13 octobre 2010

Lechevalier, B. (2006). Le cerveau de mozart - La perception du rythme chez le nourrisson

Un autre chapitre du livre de Lechevalier concerne la perception précoce des sons. Est-ce qu'un bébé est capable d'entendre un son? Oui, clairement, même avant la naissance... Mais sait-il discriminer les sons entre eux? Sait-il percevoir la musique dans ses mouvements, ses temps, etc.? Il semblerait que oui, dès 10 mois, voir avant pour le rythme. Ceci a été observé par une méthode intéressante de VRA (Visual Reinforcement Audiometry), utilisée par Trehub en 1990.

Méthode
Le VRA, pour Visual Reinforcement Audiometry, est une technique qui permet de mesurer une réponse en terme de comportement observable à un stimulus auditif. Cette méthode est utilisée chez les nourrissons notamment. 
Le principe est le suivant: On place les bébés sur les genoux de leur parent, en face de l'expérimentateur qui va tenter de capter leur attention droit devant eux grâce à une poupée. La mélodie est présentée par un haut parleur situé à 45° à gauche du sujet. On enregistre les mouvements de la tête.

Résultats
Un premier résultat concerne la capacité du bébé à discriminer les intervalles séparant deux sons. On a fait tourner une séquence auditive, qu'on a répété avec des intervalles précis, dans un ordre précis (97 ms, 291 ms, 582 ms), et quand l'ordre des intervalles est inversé (582 ms, 291 ms, 97 ms), on observe un mouvement de la tête chez le bébé, ce dès 6 mois. 
--> Ceci implique que les bébés de 6 à 12 mois sont capables de percevoir des différences de rythmes et d'intervalles. Une autre étude montre même qu'ils sont capables de créer des séquences rythmiques à partir de ce qu'ils perçoivent et de les discriminer entre elles.

--> Par la même méthode, on a observé que les bébés de 7 à 11 mois peuvent discriminer également les contours mélodiques. Comme les adultes, ils réagissent plus à des modifications globales de mélodies qu'à des changements ponctuels qui ne changent pas grand chose à la globalité du morceau. Ils sont ainsi capables de reconnaître des fins de phrase mélodiques.

--> Dès l'âge de 10 mois, les enfants sont capables de faire des catégorisations sur ces contours rythmiques et mélodiques, en les rangeant par exemple selon que ça monte ou que ça descende, que ça accélère ou que ça décélère, etc.

--> Chez le nourrisson, comme chez l'adulte, changer une note à l'octave supérieure n'est pas perçu comme un changement. Changer un morceau à l'octave supérieure non plus. 

--> Les nourrissons sont sensibles aux styles de la musique. La réaction sera différente pour une musique agitée que pour une berceuse (ce qui prouve l'effet de la berceuse, au passage).


Source : Lechevalier, B. (2006). Le cerveau de Mozart. Odile Jacob: Paris

Lechevalier, B. (2006). Le cerveau de mozart - La perception des timbres

Le chapitre sur la perception des timbres est globalement peu renseigné. C'est pourquoi cet article sera bref.

Qu'est-ce qu'un timbre?
Un timbre est "le résultat du nombre et de l'intensité des harmoniques naturels (ou partiels) qui le constituent et que l'on appelle de nos jours la composante spectrale."(p. 209). 
A quoi ça sert, le timbre?
Aide à la discrimination des objets sonores (un tambour est différent d'une trompette) et à l'identification de leur source possible.

Quelles zones cérébrales sont impliquées? 
Dans une étude lésionnelle, B Milner montre que les patients atteints d'une exérèse temporale droite souffrent de problèmes de discrimination des timbres, que les lésés gauche n'ont pas. 
La partie la plus impliquée serait la partie antérieure et surtout antéro-ventrale du lobe temporal droit. Cette région est également impliquée dans la perception des caractères personnels de la voix humaine.


Source: Lechevalier, B. (2006). Le cerveau de Mozart. Odile Jacob: Paris

dimanche 10 octobre 2010

Hauk, O., & all. (2004). La représentation somatotopique de notre corps à travers les mots d'action dans le cortex moteur et prémoteur

Une nouvelle étude phare de la neurobiologie, qui s'intéresse cette fois-ci à la représentation des mots dans notre cerveau. La question de départ est simple: où est stocké le sens (sémantique) des mots dans le cerveau?

Des études précédentes ont essayé de trouver une zone du cerveau où le sens sémantique serait stockée. La plupart des études jusque là tendent à dire que le sens sémantique serait stocké aux alentours de l'aire de Wernicke, donc dans le lobe temporal gauche, aux zones antérieure, postérieure et inférieure à l'aire de Wernicke. (Rappelons que l'aire de Wernicke, et l'aire de Broca sont les deux aires les plus connues qui permettent le langage).

Cette étude apporte la preuve que les informations des mots qui réfèrent à une action font intervenir également le lobe frontal, dans sa zone médiane, ainsi que les aires motrices et prémotrices associées à l'action que le mot décrit!

Méthode
La méthode utilisée est plutôt simple. Ils ont testé 14 sujets parlant la même langue (et seulement cette langue), tous droitiers et d'âge moyen 25 ans, gardés naïfs quant aux buts de l'expérience. Les chercheurs ont effectué un prétest avec 150 mots, décrivant des action. Ils ont demandé à des sujets de dire si les mots présentés étaient reliés pour eux à une partie du corps (3 parties: jambes, bras, tête). Ils ont gardé les mots associés à une partie en les classant selon la partie du corps à laquelle ils faisaient référence. Une fois cette correspondance effectuée, ils les ont randomisés, mélangés avec 150 autres mots qui n'ont pas de rapport avec une action en rapport avec une des parties du corps sus-mentionnée, et présentés à des sujets dans une tâche de lecture passive.
Pendant la tâche de lecture, les sujets étaient passés dans un IRMf. Avant de passer, il leur était demander d'effectuer des mouvements avec les parties du corps afin d'enregistrer leur "homonculus" personnel, c'est à dire l'endroit du cortex moteur associé a chaque partie du corps. Pour leurs résultats, ils ont ainsi pu standardiser les coupes de cerveau obtenues par l'IRM afin de pouvoir les comparer.

Hypothèse
L'hypothèse était que l'activation du mot associé à une action d'une partie du corps activerai non seulement les zones spécialisées du langage et le cortex frontal, mais également le cortex moteur et prémoteur à l'endroit même où les neurones s'activent pour effectuer réellement l'action. C'est à dire que les neurones qui codent le sens sémantique d'un mot qui décrit une action est stocké au même endroit que l'action elle même. (hypothèse confirmée)

Résultats
Zones du cerveau activées par les mots-action.
 Les résultats montrent des activations significatives de différentes zones du cerveau:
  • Le gyrus fusiforme gauche, une zone proche de ce qu'on a appelé "la zone de la forme visuelle des mots"
  • Le cortex temporal gauche, bien connu pour contenir le sens sémantique des mots (et la mémoire)
  • Le cortex frontal inférieur gauche, comme prévu par la revue de la littérature, où pourrait être contenu le sens des mots également
  • Le gyrus précentral (cortex moteur!) et le gyrus postérieur médian (cortex prémoteur!)
Ces résultats montrent que les zones motrices sont activées, même sans qu'il y ait eu de tache verbale (c'était de la lecture passive), ni de reproduction de l'action. Cela semble donc bien indiquer la relation entre le sens des mots et la représentation du mouvement auquel ils réfèrent. 

Plus particulièrement, les auteurs ont vu que certaines zones étaient activées quelque soit la zone du corps à laquelle les mots étaient associés (c'est le cas du gyrus inférieur temporal et frontal gauche), et d'autres sont activées spécifiquement selon la partie du corps associée (les aires prémotrices frontales inférieures bilatéralement pour le visage ; le gyrus frontal médian (cortex prémoteur) et le gyrus précentral gauche (cortex moteur) pour le bras ; Le gyrus pré et post central de l'hémisphère gauche et dans le cortex prémoteur dorso-médian pour les jambes). Ceci correspond à l'organisation somatotopique du cortex moteur et prémoteur pour les actions comme pour les mots action (i.e. l'homonculus) obtenue par les vrais mouvements, ce qui a été en plus prouvé par d'autres analyses post-hoc.



Source: Hauk, O., Johnsrude, I., and Pulvermüller, F. (2004). Somatotopic Representation of Action Words in Human Motor and Premotor Cortex, in Neuron, 41, 301-307

jeudi 7 octobre 2010

Maguire, E. A., & all. (2000). Conduire un taxi amène à modifier la structure de l'hippocampe.

Un autre article de neurobiologie du cerveau, avec une autre recherche qui a révolutionné le domaine, c'est celui de Maguire, E. A. et all. Cette étude, autrement appelée "l'étude des conducteurs de taxi" est intéressante pour sa méthode novatrice et pour ces résultats, encore cités aujourd'hui dans la plupart des travaux sur l'hippocampe et sur la plasticité cérébrale. 

Avant cette recherche, il était impossible de savoir s'il y avait des prédispositions innées, inscrites dans la structure du cerveau, ou si le cerveau était susceptible de changer, d'avoir une plasticité.
Il est nécessaire de rappeler que l'hippocampe a été observé dans cette étude car on savait qu'il était non seulement le lieu de l'encodage de la mémoire, mais aussi qu'il était impliqué dans le repérage spatial (d'où le choix des sujets: les taxi Londoniens, forts en repérage spatial)

Méthode
Ils ont utilisé une méthode dite VBM (voxel-based morphometry), qui consiste à observer les différences de densité dans la matière grise d'un sujet passé à l'IRM structurel. Ils ont ici ciblé l'hippocampe. Ils ont également utilisé une autre méthode de comptage de pixel, pour étudier la même chose, c'est à dire la densité de neurones dans le cerveau.
Les sujets, et c'est là toute l'originalité, n'étaient pas des cérébraux lésés qui n'arrivaient plus à faire une tâche, comparé avec des gens "normaux", mais des chauffeurs de taxi Londoniens (qui ont, rappelons le, un examen de passage très difficile, où ils doivent retenir l'ensemble du plan de Londres, et beaucoup d'autres choses) comparés à des gens "normaux". Ils ont contrôlé la latéralité en ne prenant que des gauchers, tout le monde était âgé de 32 à 62 ans et avaient leur licence de taxi depuis au moins 1 an et demi. Ils n'ont prit que des hommes. Chaque taxi était associé à un homme "contrôle" qui avait les mêmes caractéristiques de niveau social, d'âge, de latéralité, etc.

Hypothèse
L'hypothèse, novatrice, était que l'expérience des taxi allait produire un changement structurel dans une partie du cerveau, attestant alors d'une plasticité neuronale.

Résultats
Il s'est avéré qu'avec les deux méthodes (VBM et pixel-counting), les chercheurs ont observé des différences significatives de densité dans deux structures, et nulle part ailleurs dans le cerveau: l'hippocampe gauche et l'hippocampe droit. Il faut savoir par contre que le volume global de l'hippocampe n'a pas été modifié.
De plus, ils ont analysé la différence de densité entre les chauffeurs de taxi, expérimenté en repérage spatial, et le groupe contrôle, selon les zones spécifiques de l'hippocampe, et il s'avère que chez les chauffeurs de taxi, ce soit l'hippocampe postérieur qui ait augmenté en densité, au détriment de l'hippocampe antérieur. Les résultats sont inverses pour le groupe contrôle, à savoir que pour les sujets contrôle, l'hippocampe antérieur est plus important que chez les taxi. Ceci peut être expliqué par le fait que l'hippocampe n'a pas changé de volume, d'où le besoin de compenser l'augmentation de densité d'un côté par une diminution de densité de l'autre.

Après des analyses post-hoc, ils se sont également aperçu que la densité était corrélé de façon positive avec le temps passé en tant que taxi. Autrement dit, plus de temps on passe à être taxi, plus l'hippocampe postérieur est dense. Ceci n'est cependant valable que pour l'hippocampe droit.


Discussion
Les résultats montrent donc bien des différences structurales dans l'hippocampe, et ce fonction de l'expérience d'un sujet dans un domaine. Ceci attesterait donc du fait que le cerveau a été modelé avec le temps, avec l'expérience, et de manière spécifique a la tâche d'orientation spatiale très utile pour les taxi et non pour les autres. Etant donné que l'on ne peut pas savoir si la différence de densité était déjà présente chez les taxi (ce qui leur aurait fait choisir ce métier), on ne peut qu'avancer le résultat du changement de densité en fonction du temps de pratique, qui atteste bien qu'il y a eu plasticité cérébrale au niveau de l'hippocampe!

Les études lésionnelles montrent aussi que les patients lésés de l'hippocampe mais qui garderaient une partie postérieure intacte seraient à même de redonner le plan de leur ville natale, d'où une sauvegarde de la fonction de repérage spatial grâce à l'hippocampe postérieur.

Apparemment, le fait que pour les sujets contrôle, ce soit l'hippocampe antérieur qui soit plus dense pourrait être expliqué par le fait que l'hippocampe postérieur s'occuperait plus de ce qui est déjà su (un plan appris par cœur, par exemple), et l'hippocampe antérieur serait plus impliqué dans l'encodage de nouvelles informations spatiales.

Ces résultats suggèrent que la "carte mentale" de la ville serait stockée dans l'hippocampe postérieur qui pourrait faire preuve de plasticité dans le cas d'un apprentissage intensif de ce plan, en augmentant sa densité (et non son volume)


Source: Maguire, E. A., Gadian, D. G., Johnsrude, I. S., Good, C. D., Ashburner, J., Frackowiak, R. S. J., & Frith, C. D. (2000). Navigation-related structural change in the hippocampi of taxi drivers, PNAS, 97 (8)

dimanche 3 octobre 2010

Bhardwaj, R. D. & all. (2006). La neurogénèse (création de nouveaux neurones) ne se fait plus après la naissance

On a souvent entendu parler du fait que les neurones ne se créaient plus à partir de 20 ans, qu'il n'y avait qu'un décroissement des capacités ensuite, etc. Vous avez peut être même entendu la réfutation de cela, comme quoi en fait c'était juste qu'il y avait moins de neurones qui se créaient que de neurones qui mourraient, mais il y en avait quand même de créé, d'où la plasticité du cerveau... C'est faux, car aucun neurone ne se créé après... La naissance. C'est en tout cas ce qu'a découvert l'équipe de Bhardwaj en 2006 dans un article phare paru dans PNAS. Bien sûr, ce qu'on dit sur la plasticité cérébrale reste valable, mais ça ne se passe pas au niveau des neurones, mais au niveaux des liaisons (axones donc). 

L'article part du constat qu'une équipe aurait trouvé des neurones qui se renouvelleraient dans le cerveau du singe. Si c'est le cas chez eux, ça doit l'être aussi pour nous, humains. Donc l'équipe a lancé une recherche auprès d'une population.

Méthode

L'idée, assez originale, est de dater les neurones du cerveau à partir de carbone 14 (14C). Pour dater à partir du 14C, il faut qu'il y ait eu une forte émission de cet élément radioactif: ca a été le cas avec les essais nucléaires des années 60. (Ils ont également utilisé un marquage au BrdU pour plus de précision, mais ce n'est pas l'important ici, car cela n'a fait que confirmer les résultats). Dans les années 60, il y a eu un pic d'émission de 14C, et donc les cellules nées à cette époque ont en elles des 14C que l'on peut tracer avec les moyens de traçage du 14C habituels, dans une quantité plus importante que les cellules nées plus tôt, ou plus tard. Ils ont donc mesuré la quantité de 14C dans différentes cellules du cerveau (neurones et cellules gliales (des cellules qui ne sont pas des neurones, mais qui aident les neurones à "bien fonctionner")) chez des personnes étant nées avant le pic de 14C, ou juste après le 14C. Les résultats sont édifiants...

Hypothèses

L'hypothèse était que si les neurones (et les cellules gliales) se renouvellent, alors la quantité de 14C dans le cortex devrait augmenter, au plus on se rapproche du pic de radioactivité, et redescendre ensuite. Si les neurones ne se renouvellent pas, alors la quantité de 14C restera la même qu'au moment de leur formation (donc à la naissance, vu que la plupart naissent à ce moment là)

Résultats

Les résultats sont édifiants, je le disais. Il semblerait, en ayant testé à la fois des gens nés avant le pic de radioactivité, et à la fois ceux nés après, que les neurones ne se renouvellent pas! La quantité de 14C reste la même que celle à la naissance, ce sur toutes les mesures effectuées dans le temps chez les sujets. Cela atteste donc qu'il n'y a pas eu mort cellulaire, et donc que les cellules présentes sont bien les neurones du début de notre vie.

Graphique représentant l'âge des cellules (neurones et non-neurones (=cellules gliales)) pour les personnes nées avant le pic de radioactivité de la fin des années 60. Le trait vertical représente l'année de naissance de la personne. 

Même graphique, pour des personnes nées juste après le pic de radioactivité. Mêmes constats. 

Cependant, pour les cellules gliales, les résultats sont différents et il semblerait qu'elles puissent se reformer, car elles datent de quelques années après la naissance (cependant, les sujets testés sont des adultes, donc même les cellules gliales ne se renouvelleraient plus après la petite enfance). 

Discussion

Ces résultats montrent bien qu'il n'y a pas de création de nouveaux neurones, mais les méthodes utilisées restent non sures à 100%, il reste une chance qu'une petite quantité de neurones naissent, mais qu'ils ne soient pas assez nombreux pour passer le seuil de détectabilité de la méthode, cela pourrait représenter 1% de la masse neuronale. Et si c'était le cas, la méthode au BrdU nous dit que ces nouveaux neurones éventuellement créés ne pourraient pas vivre plus de 4 mois... A quoi serviraient-ils? Peut-on éventuellement y trouver une explication neurobiologique à la mémoire de travail?


Source: Bhardwaj, R. D., Curtis, M. A., Spalding, K. L., Buchholz, B. A., Fink, D., Björk-Eriksson, T., Nordborg, C., Gage, F. H., Druid, H., Eriksson, P. S., and Frise, J. (2006). Neocortical neurogenesis in humans is restricted to development, in PNAS, 103 (33)